Le poids des âges
Derrière la baisse de popularité de la restauration rapide, les pressions à la hausse des coûts du système de santé sur les budgets gouvernementaux ou la croissance fulgurante du marché de la rénovation se cache une réalité incontournable : l’âge de la population.
« La démographie est un phénomène si fondamental, opérant à un niveau si profond dans la société, que la plupart d’entre nous n’en ont pas conscience, tout comme nous n’avons pas conscience qu’un ruisseau souterrain coule silencieusement sous une rue d’une grande ville. »
Dans son livre Entre le boom et l’écho, publié en 1996, l’économiste torontois David K. Foot soutenait que notre société tournerait plus rond si nos décideurs comprenaient mieux ce qu’est la démographie. Près de sept ans plus tard, son propos est tout aussi pertinent. L’étude du profil de la population demeure un des moyens les plus efficaces de prévoir comment se comporteront les membres d’une société donnée à un moment de son histoire.
Juste avant les Fêtes, le chef de la direction de la chaîne de restaurants McDonald’s remettait sa démission à la suite d’une série de mauvais résultats financiers enregistrés au cours des deux dernières années. « La restauration rapide encaisse le retour du balancier », titrait-on dans les pages financières d’un quotidien montréalais. Un retour du balancier dont profitent les restaurants offrant le service au table : entre 2001 et 2002, l’augmentation de leurs ventes a surpassé de 66 % celle des chaînes de restauration rapide.
Faut-il s’en étonner ? Pas si l’on tient compte du vieillissement de la population qui a caractérisé les changements dans notre pyramide des âges. Une population comptant un plus grand nombre de personnes âgées se préoccupera davantage de sa santé et de son alimentation. Les chances de bien se remettre d’une attaque de big mac sont meilleures à 20 ans qu’à 50 ans. Si cela ne se vérifie pas chaque fois que l’on compare deux personnes d’âges différents, cela s’applique cependant pour le plus grand nombre. La démographie est une science des grands ensembles, du général, pas du particulier.
En ce qui me concerne, je ne fréquente que très rarement ce type de restaurant. Mais, dans la vingtaine, sans en être un adepte, j’y allais plus souvent. Les occasions étaient plus nombreuses : plus de sorties hors de la maison, horaires moins réguliers et, surtout, moins d’argent dans mes poches. Aujourd’hui, en tant que jeune baby-boomer (je suis né à la limite de la génération suivante, le baby-bust), il m’arrive encore trop souvent de manger vite et debout, si ce n’est en travaillant. Par contre, signe des temps, j’apprécie davantage l’expérience, l’ambiance ou simplement le plaisir d’une bonne table en compagnie de convives agréables. Ce que m’offre un restaurant avec service aux tables.
L’engouement pour la rénovation, qui consiste à vouloir rendre plus douillet notre espace intérieur, est aussi intimement lié à la répartition des différentes tranches d’âges. La démographie permettait de prévoir le coup : fortement représentés, les 40-60 ans sont nombreux à avoir fini de payer leur hypothèque ou, du moins, à se rapprocher de l’échéance. Avec souvent des enfants encore à la maison, ce n’est pas le moment idéal pour déménager. Or, tant qu’à rester chez soi – à plus forte raison lorsque les services de santé se trouvent relativement près et qu’on risque de plus en plus d’y avoir recours –, aussi bien s’organiser pour bien y vivre. En ce sens, refaire sa cuisine ou sa salle de bain est un investissement pour se faire plaisir.
Les professionnels de la rénovation ont donc beau jeu par les temps qui courent. L’économiste David K. Foot fait toutefois cette mise en garde, entre autres aux architectes : « ceux qui se spécialisent dans les rénovations de qualité ont de bonnes chances de prospérer dans les années à venir. Mais le mot clé ici, c’est qualité. Les premiers baby-boomers sont des gens exigeants et ils ne supporteront pas un travail mal fait. Les architectes et les entrepreneurs qui peuvent offrir du bon travail dans le délai convenu s’en sortiront bien. Les autres, non. »
Par Isabelle