Leucémies aiguës de l'enfant
Qu'est ce que c'est?La leucémie est définie par une prolifération clonale (d'une sorte) d'un précurseur des cellules sanguines dans la moelle. Une classification internationale définit différents types cytologiques selon la lignée cellulaire en cause : lignée lymphoïde ou lignée myéloïde. Ces maladies sont graves.
Toutefois, les avancées thérapeutiques sont spectaculaires. Les premières rémissions prolongées datent de la fin des années 1960. Les avancées des années 1980 sont une meilleure approche des soins (généralisation de l'utilisation des cathéters centraux, utilisation large d'antibiotiques puissants, meilleure utilisation des antalgiques) et une intensification de la chimiothérapie (utilisation d'une cure d'intensification, meilleure maîtrise de l'allogreffe de moelle). La compréhension des leucémies a été grandement améliorée ces dernières années par la biologie moléculaire.
Les leucémies aiguës constituent le plus fréquent des cancers de l'enfant, représentant un tiers des cancers en pédiatrie, avec une incidence annuelle de 4/100 000. Les leucémies aiguës sont 20 fois plus fréquentes chez les enfants porteurs d'une trisomie 21.
La leucémie se traduit par le remplacement des cellules sanguines normales dans la moelle osseuse par des cellules cancéreuses. Ces cellules anormales empêchent d'une part la moelle de fabriquer les cellules normales et d'autre part vont infiltrer les différents organes.
L'évolution spontanée était rapidement mortelle dans des tableaux d'infections sévères ou d'hémorragies importantes. Actuellement, les thérapeutiques modernes entraînent une rémission dans 95% des cas de leucémies aiguës lymphoblastiques.
Causes et facteurs de risque L’application des techniques de biologie moléculaire aux domaines des leucémies améliore la compréhension de ces maladies. Les travaux récents s’intéressent aux événements précoces, moléculaires, responsables de la leucémogenèse. Dès maintenant, ces techniques améliorent l’identification de la maladie en permettant la définition de transcrit de fusion et la description des réarrangements entre les gènes des immunoglobines ou les récepteurs T.
Les apports de ces techniques sont de deux ordres : meilleure connaissance sur la définition moléculaire de la maladie et possibilité d’un suivi de la maladie résiduelle. On doit signaler l’intérêt des techniques de tests in vitro de l’activité anti-leucémique des différents médicaments. Il existe peu de travaux sur la physiologie des cellules leucémiques, à l’exception d’études des facteurs angio-génétiques
Les signes de la maladie Les signes cliniques traduisent soit l'insuffisance médullaire soit l'infiltration viscérale par les cellules anormales. L'insuffisance médullaire entraîne :
Une baisse des globules rouges donc une anémie : pâleur, asthénie, amaigrissement , altération de l'état général ;
Une baisse des leucocytes donc une fragilité vis-à-vis des infections : angines traînantes, fièvre inexpliquée...
Une baisse des plaquettes donc une thrombopénie : hémorragies, épistaxis, pétéchies, purpura, ecchymoses etc...Les hémorragies rétiniennes visibles au fond d'oeil sont annonciatrices d'hémorragies cérébro-méningées.
L'infiltration des organes par les cellules leucémiques provoque :
Une augmentation du volume du foie et/ou de la rate ;
Une augmentation de volume des ganglions lymphatiques ;
Des douleurs osseuses ou ostéo-articulaires ;
Des douleurs abdominales ;
Une hypertrophie hémorragique des gencives (gingivite)
Au moindre doute, le médecin fait appel au laboratoire.
La NFS donne deux types de renseignements.Pratiquée précocement, au stade "aleucémique", les cellules cancéreuses ne sont pas encore apparues dans la circulation sanguine. L'analyse du sang ne les montre donc pas. Par contre, l'insuffisance médullaire se traduit par :
La chute du nombre des hématies : anémie normochrome arégénérative ;
La chute du nombre des leucocytes : neutropénie ;
La chute du nombre de plaquettes : thrombopénie.
Plus tardivement, elle met en évidence les cellules jeunes anormales (blastes) qui sont passées dans la circulation. Ces résultats imposent de pratiquer une ponction de moelle afin de réaliser un frottis ou myélogramme.
On distingue en effet deux formes principales:
Les leucémies aiguës lymphoblastiques ou L.A.L., les plus fréquentes entre 18 mois et 16 ans, très sensibles aux traitements modernes puisque les rémissions complètes sont atteintes dans 90% des cas pendant de nombreux mois.
Les leucémies aiguës myéloblastiques ou L.A.M. touchant surtout les enfants de plus de 12 ans et plus graves
Complications
Avant les traitements modernes, les enfants atteints de leucémie mouraient rapidement. Actuellement, les thérapeutiques diverses mises au point ces dernières années permettent d'obtenir des rémissions de durée plus ou moins longues. On parle de guérison complète lorsqu'une rémission dure 5 ans. Une "rémission" se définit par la disparition des signes cliniques et hématologiques avec réapparition des lignées médullaires normales dans la moelle. Plusieurs complications peuvent survenir :
L'aplasie médullaire est provoquée par le traitement qui soigne en quelque sorte la leucémie mais entraîne des infections graves ou des hémorragies sévères.
Les différents traitements ont un effet immunodépresseur et rendent très sensibles les enfants aux infections virales (varicelle, rougeole etc...)
Des infiltrations leucémiques localisées peuvent atteindre les méninges (méningite leucémique). Ces rechutes méningées étaient responsables des rechutes hématologiques précoces au cours de la première année de traitement. Un traitement préventif est actuellement systématiquement effectué. Les atteintes testiculaires sont relativement fréquentes et imposent l'examen régulier des organes génitaux externes (augmentation progressive et indolore du volume d'un testicule).
Lorsque la maladie ne répond plus aux traitements d'entretien ou de réinduction, l'évolution se fait vers la mort par aplasie médullaire le plus souvent.
Examens et analyses complémentaires Myélogramme
Cet examen est indispensable pour confirmer le diagnostic et préciser le type cellulaire exact, ce qui est fondamental pour le traitement et le pronostic. Il est le plus souvent pratiqué chez l’enfant au niveau des crêtes iliaques. L’utilisation de prémédications permet de pratiquer ce geste sans désagrément pour l’enfant. L’examen cytologique permet d’affirmer le diagnostic de leucémie en montrant typiquement un infiltrat massif de cellules monomorphes dont l’aspect correspond soit à l’aspect FAB L1 soit FAB L2. Le pourcentage des cellules pathologiques peut parfois être plus modéré mais doit être par définition supérieur à 30 %.
Plusieurs examens très spécialisés visent à caractériser la prolifération clonale :
Immunophénotype
L’identification de protéines de surface des lymphocytes, dénommée par les initiales CD (cluster de différenciation), et un numéro permettent d’attribuer une identité à la prolifération clonale. On distingue des marqueurs de la lignée T (CD 2, CD 3, CD 4, CD 5, CD 7, CD
, des marqueurs de la lignée B (CD 19, CD 20, CD 21, CD 21, CD 22, CD 23, CD 24, immunoglobulines intra-cytoplasmiques, immunoglobulines de surface), des marqueurs de la lignée myéloïde ( CD 13, CD 14, CD 33), et des marqueurs de cellules médullaires indifférenciées ( CD 34, CD 10). Environ 15 % des leucémies expriment des marqueurs T et 85 % des marqueurs B.
Cytogénétique
Les clones malins présentent des anomalies cytogénétiques. On décrit des anomalies du nombre de chromosomes (hypodiploïdie - 45 chr, ou hyperdiploïdie + 46 chr) et des anomalies de structure des chromosomes.
Biologie moléculaire
Deux types d’anomalies sont décrits au niveau du matériel génétique des clones malins. D’une part , des transcrits de fusion correspondant à une fusion de 2 gènes situés sur 2 chromosomes différents, aboutissant parfois à une protéine dotée de fonction, le plus souvent intéressant la régulation du cycle cellulaire. On décrit ainsi les transcrits BCR-ABL, MLL, TEL-AML 1, correspondant respectivement aux translocations t (9 ;22), t (4 ;11) t (12 ;21) . D’autre part, au sein de clones de cellules lymphoïdes, il existe très fréquemment un réarrangement des différents gènes codant pour les immonoglobines – lignée B – ou le récepteur T – lignée T.
Il est possible d’utiliser les techniques de biologie moléculaire soit comme aide au diagnostic, soit pour mieux apprécier la diminution du nombre de cellules lors du traitement . Dans ce cas, l’intérêt de ces techniques est d’augmenter la sensibilité de la détection des cellules clonales résiduelles à des seuils proches de 1/10 000 cellules (2). Cependant en routine, ces techniques ne sont informatives que pour environ 70 % des patients.
Autres anomalies biologiques
Avant tout, parmi les formes hyperleucocytaires, diverses anomalies peuvent être présentes : coagulation intravasculaire disséminée, hyperuricémie , anomalies du métabolisme phosphocalcique (hyperphosphorémie, hypo ou hypercalcémie). Une insuffisance rénale peut être présente soit par infiltration du parenchyme rénal, soit secondaire au désordre hydro-électrolytique ( hyperuricémie, troubles du métabolisme phosphocalcique).
Diagnostic différentiel Une angine avec ganglions, asthénie et splénomégalie simulant une leucose peut n'être en réalité qu'une mononucléose infectieuse (MNI).
Les douleurs ostéo-articulaires peuvent faire évoquer un rhumatisme articulaire aigu (syndrome douloureux fébrile, vitesse de sédimentation accélérée etc...).
Un purpura avec chute des plaquettes peut traduire une thrombopénie idiopathique.
Certains aspects à la NFS sont trompeurs et nécessitent un contrôle.
TraitementCathéters centraux
Plusieurs types existent – cathéters percutanés simples, à manchons ou cathéters à chambre – dont le choix est lié à la pratique de chaque équipe. Ils permettent d’administrer les médicaments cytostatiques dans de bonnes conditions de sécurité – en particulier sans risque d’extravasation – et de réaliser les prélèvements de surveillance sans gêne trop importante pour l’enfant. Leur utilisation nécessite des conditions d'asepsie rigoureuses. Ils exposent néanmoins au risque de contaminations infectieuses, en particulier à germes de types staphylocoques épidermidis.
Chimiothérapie par voie générale
Le traitement s’effectue en règle selon des protocoles thérapeutiques comportant pour une partie un tirage au sort, dans le cadre de la loi Huriet. De tels protocoles nécessitent d’être mis en oeuvre par des réseaux de médecins spécialisés dans le domaine. Pour la France, deux groupes coopérateurs existent : le groupe Fralle et le groupe EORTC.
Les structures d’ensemble des protocoles français ou des pays occidentaux sont aujourd’hui très similaires. Ils comportent tous une période initiale intensive durant environ 6 mois, et une période de traitement d’entretien durant environ 2 ans et demi à 3 ans. Dans le traitement initial, on distingue 3 périodes : l’induction, la consolidation, et l’intensification.
L’objectif de l’induction est d’obtenir une rémission complète (RC), c’est-à-dire une réduction de la masse tumorale en deçà du niveau de détection par les méthodes cytologiques (la rémission complète est définie par un nombre de cellules anormales inférieures à 5 % sur le myélogramme).
Cette période est cruciale. D’une part, il s’agit de contrôler dans les meilleures conditions possibles la maladie en maîtrisant la lyse tumorale et les complications infectieuses. D’autre part, il s'agit d’apprécier la réponse de la maladie à la thérapeutique. Deux médicaments semblent déterminants lors de cette période : les corticostéroïdes et la vincristine (ou un autre poison du fuseau comme la vindésine). A eux seuls, ces médicaments permettent d’obtenir une rémission complète chez 90 % des patients. D’autres médicaments semblent utiles à ce stade, en particuliers les antracyclines (adriamycine, daunorubicine…) et l’asparaginase . Le taux de rémission complète obtenu avec ces 4 médicaments est de 95 à 98 %.
Ce traitement provoque une guérison apparente clinique et hématologique. Il détruit un très grand nombre de cellules cancéreuses mais en laisse malheureusement persister quelques unes. Ainsi, chez un enfant pesant 20 kg, on estime à 1 kg le poids de ses cellules leucémiques. Après l'induction, on considère qu'il reste environ 1 g de cellules cancéreuses, chiffre trop faible pour être décelé sur un myélogramme. Ces cellules persistantes font courir le risque de rechute. C'est la raison pour laquelle d'autres traitements sont nécessaires.
Lors de la consolidation, qui dure environ 12 semaines, plusieurs autres médicaments cytostatiques sont introduits : le VP 16, le méthotrexate, l’aracytine, les anti-métabolites (6 mercaptopurine ou 6 thioguanine ).