Matins agités
Dépêche-toi! Viens manger! On va être en retard! Tous les matins, le même refrain… «Attends» d’une part et «Actives-toi» de l’autre. Thomas se réveille à 7h, il a trente minutes pour se préparer et descendre avant de passer le petit-déjeuner avec ses sœurs et ses parents.
Mais Thomas, comme beaucoup d’enfants de son âge, préfère s’amuser que s’habiller, et même parfois, que manger. La plupart du temps, ses parents doivent s’agiter autour de lui…
Quel sens?
Pourquoi aller à l’école, pourquoi manger, pourquoi s’habiller? Pourquoi se dépêcher, pourquoi à 9h? Si ce n’est pas clair pour l’enfant, cela nécessite quelques explications… mais pas tous les matins! Si tel était le cas, il s’agirait de mettre le réveil une heure plus tôt. Que se passe-t-il si l’enfant arrive en retard trop souvent? Ou si Papa n’est pas au bureau à l’heure? Que se passe-t-il si Thomas ne mange pas le matin, s’il oublie son cartable, s’il ne met pas son pull, voire s’il est en pyjama lorsqu’il s’agit de partir prendre le bus? Le sens, les mots, l’explication sont utiles mais ne suffisent pas. Les faits aident également l’enfant à saisir les choses, à les comprendre, à les intégrer.
Personne n’apprend à marcher sans tomber. S’il est nécessaire de suggérer à l’enfant la bonne position pour la marche, cela ne suffit pas. Il est tout aussi crucial d’admettre que l’enfant tombera parfois. Pour apprendre à marcher à son enfant, l’adulte acceptera la probabilité de la chute. Le tenir toujours pour qu’il ne tombe jamais serait peut-être très généreux, mais peu instructif pour l’enfant, car marcher, c’est marcher tout seul! L’enfant a besoin de faire ses expériences. Marcher dans la vie, c’est aussi se lever, s’habiller, préparer ses affaires avant de partir pour la journée… Échouer, aussi, et réajuster le tir. Et cela, de façon de plus en plus indépendante.
Expérimenter
Le petit d’homme, contrairement aux autres êtres vivants, a cette particularité d’être tout à fait immature lors de sa naissance. Cet état engendre chez ses parents des attitudes protectrices tout à fait fondamentales et nécessaires. Par ailleurs, dans nos pays, les enfants sont préservés comme des bébés, les adolescents comme des enfants et les jeunes adultes comme des adolescents! Ils sont logés, nourris, chauffés, entretenus mais aussi habillés, lavés, servis, occupés... C'est tout juste si l’on ne peut manger, dormir et respirer à leur place! Par souci de leur bien-être, sans doute, nombre d’adultes abritent leurs enfants sous un voile de confort et de chaleur, mais aussi de dépendance qui peut amener l’enfant à une certaine passivité. L’enfant de 6 ans à qui l’on suggère souvent d’aller faire pipi ne sait plus quand il doit y aller. Il attend qu’on le lui propose. Il ne pense plus, il laisse ce soin à ses parents. Pire, il ne se sent plus lui-même! L’enfant à qui l’on répète sans cesse qu’il doit s’habiller en acquiert l’habitude, attend que le ton monte et connaît suffisamment ses parents pour savoir à quel moment il faut vraiment y aller. En attendant, lui s’est bien amusé. Par ailleurs, il essuie une certaine dose de culpabilité et ses parents sont dans un état second. Afin d’éviter l’accident pipi, l’accident petite faim ou petit froid, pour éviter le rhume, la tendance d’aujourd’hui est parfois celle du marionnettiste qui contrôle et gère la situation. L’enfant n’est pas tombé, tout est sous contrôle, mais tous sont sur les nerfs. «J’ai tout fait pour lui et il ne bouge pas le petit doigt»… «J’étouffais pour lui…» Qui étouffe qui?
Lâcher les ficelles À être servi comme un prince, par bienveillance sans doute, par manque de temps aussi, l’enfant suffoque, ne peut utiliser ses ressources propres - sa tête pour penser, son appétit pour manger, son corps pour s’habiller - et reste maintenu sous une cloche protectrice contre laquelle il est impuissant. Tout au plus, peut-il traîner, exaspérer ses parents par une opposition passive et peu constructive pour lui-même. Les adultes, quant à eux, soucieux que leur fils soit habillé, nourri, et qu’il soit passé au petit coin… n’ont plus une seconde pour leur café du matin dont ils ont bien besoin… Demandez à un marionnettiste en action de prendre un café calmement. Lâcher les ficelles permettrait à l’enfant de se tromper, mais aussi de se corriger, de tarder, mais aussi d’expérimenter le petit creux à 10h et de se dire en lui-même, tout seul comme un grand: «Demain, je ferai autrement» Excepté les enfants très destructeurs pour eux-mêmes, les autres ne se laissent pas dans la faim ou dans le froid très longtemps. S'ils tombent, ils se relèvent, ils réajustent le tir… pour autant que l’initiative leur soit laissée.
Faire confiance
Permettre à l’enfant d’avoir envie de manger, de s’habiller, d’apprendre, c’est peut-être aussi le délester de certaines angoisses d’adulte: «Il va avoir faim, froid, soif…», et faire confiance à quelqu’un qui, au contraire d’une marionnette, a les capacités de sentir - pour autant qu’on ne le prive pas de l’expérience - le froid, la faim ou ce dont il a besoin.
S’il est fondamental de protéger l’enfant, il est essentiel également de lâcher cette assistance - qui est aussi un contrôle - de lui ouvrir la possibilité de se cogner et de décider seul d’ouvrir les yeux, de choisir de regarder où il marche. Ce n’est pas l’abandonner, c’est le soutenir dans son processus d’autonomie.
S’il est certaines règles à respecter, il y a aussi des «chances» que l’enfant doit pouvoir choisir de prendre… ou de laisser.
